Tribune : Chantier de l’A69 Toulouse-Castres : pour un arrêt d’urgence
Plus de 750 personnalités de tous horizons, dont Cyril Dion, Camille Etienne, Guillaume Meurice ou Cédric Villani demandent l’abandon des travaux de la future autoroute et appellent à une médiation inspirée par Notre-Dame-des-Landes.
L’autoroute A69 reliant Toulouse à Castres, un énième projet imposé, se révèle désastreuse pour le climat, la biodiversité et le tissu social.
Une vague d’opposition croissante qui a commencé voilà des années nous pousse aujourd’hui à unir nos voix dans cette tribune. En tant que citoyen·nes, élu·es, militant·es, associatifs, professionnel·les et scientifiques engagé·es contre cette autoroute destructrice pour l’environnement et le bien-être social, nous exhortons le gouvernement et la région Occitanie à interrompre immédiatement les travaux en cours, et à chercher une issue à travers une médiation inspirée par Notre-Dame-des-Landes.
En dépit de l’avis défavorable rendu par l’Autorité environnementale qui juge ce projet anachronique, en dépit de celui du Conseil national de protection de la nature (CNPN) qui pointent les lacunes de l’étude d’impact de ce projet, en dépit des alertes des scientifiques, en dépit de la mobilisation citoyenne historique contre ce projet, ce gouvernement persiste.
Au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, des obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre, des incidences sur la pollution de l’air, des menaces d’arrêt de l’érosion de la biodiversité, de l’artificialisation du territoire et de l’évolution des pratiques de mobilités et de leur lien avec l’aménagement des territoires, ce projet routier apparaît aussi anachronique que condamnable.
Pour sa construction, l’A69 s’approprie les ressources d’autres territoires. Ainsi, ce sont des millions de tonnes de granulats qui vont devoir être puisées et retournées dans les dix prochaines années. En Ariège, où se situent de nombreux gisements, la nappe phréatique subit déjà les conséquences directes de cet extractivisme. Qui plus est, l’analyse socio-économique, dont seul un résumé a été rendu public, repose sur des données dépassées relatives à la circulation, et des hypothèses d’émissions de polluants qui mériteraient d’être actualisées.
Un projet d’une autre époque
Il est temps de mettre en pause ce projet qui ne répond plus aux urgences de notre époque et qui symbolise l’entêtement d’une poignée d’élu·es et d’entrepreneur·es, au détriment des habitant·es et de leur environnement.
Pendant près d’une décennie, toutes les alertes contre ce projet ont été balayées d’un revers de la main par un personnel politique avide de béton, coincé dans une vision de l’aménagement héritée du XXe siècle. C’est la même génération d’hommes et de femmes politiques qui portent la responsabilité du désastre de Sivens, où les travaux d’un barrage cyclopéen ont coûté la vie de Rémi Fraisse.
Nous refusons de tolérer ce mépris contre la vie humaine et dénonçons aujourd’hui l’acharnement du gouvernement et de la région à poursuivre un projet qui conduira à artificialiser des centaines d’hectares de terres agricoles et à abattre des milliers d’arbres dont de nombreux arbres centenaires.
Des propositions alternatives raisonnables, comme le projet «Une autre voie», la rénovation de la RN126 et l’expansion du réseau ferroviaire ont été écartées. Délibérément. Pourtant, elles sont sérieuses, documentées et portées par des expert·es. Elles éviteraient par ailleurs de pénaliser financièrement les automobilistes obligé·es de débourser 17 euros pour un aller-retour Toulouse-Castres afin de gagner une quinzaine de minutes de trajet, ce qui ferait de l’A69 l’une des autoroutes les plus chères, sans doute la plus antisociale et la plus inutile de France. De plus, la littérature scientifique a depuis longtemps montré qu’il est vain d’espérer des effets structurants automatiques par les axes routiers, et encore moins pour le bassin Castres-Mazamet qui ne saurait être considéré comme enclavé, en vertu des dizaines de milliers d’emplois qu’il présente déjà.
Pour que ces solutions soutenables et désirables adviennent, nous préconisons le recours à un collectif de médiation entre les opposant·es et les porteur·euses de projet.
Les autorités commettent une erreur lorsqu’elles se réfugient derrière l’argument de la validité juridique du projet pour ne plus le discuter. Le fait que le droit reconnaisse la légalité de tels projets ne saurait justifier leur acceptabilité morale, d’autant plus que le recours sur le fond n’a toujours pas été jugé.
L’A69 est avant tout un choix politique. Celui d’un président de département, Christophe Ramond, d’une présidente de région, Carole Delga, d’un ministre des Transports, Clément Beaune, d’une Première ministre, Elisabeth Borne, et surtout d’un président de la République, Emmanuel Macron.
L’A69 n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un système plus large qui considère l’écologie comme un saupoudrage de petits gestes et de concessions. Face à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité, les mesurettes et belles paroles ne suffisent plus.
Pour une réforme juridique historique
Nous appelons à une réforme juridique historique visant à mettre fin à la primauté du choix politique lorsqu’il ne répond pas réellement à l’intérêt général et qu’il pose un acte écocidaire. Cette réforme passe par la reconnaissance des droits de la nature, et la criminalisation de l’écocide : nous ne cesserons de nous mobiliser tant qu’une telle législation ne sera pas promulguée.
Un système qui autorise et encourage ce type de projets est voué à l’échec. C’est pourquoi, face à l’emballement écologique, nous réclamons aussi des investissements massifs dans les transports collectifs, l’expansion du réseau ferroviaire et une augmentation significative des redevances autoroutières pour lutter activement contre le changement climatique.
Nous associons donc nos voix à celles de Thomas Brail, des 14 autres grévistes de la faim, et de tout·es les militant·es qui poursuivent une lutte acharnée depuis plusieurs années maintenant. Nous appelons de nos vœux à ce que la mobilisation citoyenne et pacifique s’amplifie partout en France pour exiger la préservation de notre biodiversité et la protection des voix qui la défendent.
Il est évident qu’il n’y a plus d’acceptabilité sociale pour ce projet écocidaire. L’A69 ne peut plus se réaliser : il revient désormais à celles et ceux qui nous gouvernent d’en prendre conscience et d’ouvrir dès maintenant des pourparlers avec l’ensemble des organisations et personnes concernées, après avoir prononcé la suspension temporaire des travaux.
Une tribune parue sur le site de Libération
Premiers signataires : Christine Arrighi Députée EE-LV de la Haute-Garonne Manuel Bompard Député des Bouches-du-Rhône, coordinateur national de La France insoumise (LFI) Christophe Cassou Chercheur climatologue Cyril Dion Ecrivain et réalisateur, Cécile Duflot Directrice générale Oxfam France Karen Erodi Députée LFI du Tarn Camille Etienne Activiste Yannick Jadot Sénateur EE-LV de Paris Jean-François Julliard Directeur général de Greenpeace France Noël Mamère Ecologiste Jean-Luc Mélenchon Président de l’Institut La Boétie Guillaume Meurice Humoriste, chroniqueur Corinne Morel-Darleux Autrice Salomé Saqué Journaliste Anne Stambach-Terrenoir Députée LFI de la Haute-Garonne Marine Tondelier Secrétaire nationale EE-LV Cédric Villani Mathématicien et ancien député, ainsi que 745 signataires.